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  • Anneli

Vivre - ou survivre - par gros temps

J'avais publié en avril dernier ce texte dans mon autre blog et j'ai envie de le partager ici.

En faisant de l'ordre dans mon atelier j'ai retrouvé une coupure de journal que j'avais mise de côté. Il s'agit de l'interview du philosophe Charles Pépin publié dans le Figaro Madame il y a quelques années déjà mais dont le contenu me semble très intéressant.

Contrairement à lui, je pense que le bonheur est possible... Ce serait donner trop facilement la victoire aux barbares que de s'avouer à ce point terrorisés, non ? Je ne coupe pourtant pas ce passage, sans lui le texte n'a plus de sens.

Je vous livre donc ce texte (pas dans son intégralité) ci-dessous:

"Et si l'on cultivait la joie malgré le fracas du monde ? Malgré la peur qui fait tanguer nos certitudes ? Tel un phare dans la tempête, le philosophe Charles Pépin éclaire le chemin vers l'élan vital. Revigorant.

L'art d'être heureux par gros temps. Je me souviens de ce que je me suis dit lorsque j'ai découvert cette formule du philosophe Jean Salem: c'est exactement ça... Si la vie doit être un art, il faut qu'elle le soit par gros temps. Par gros temps aussi. Par gros temps surtout. Si nous devions attendre, pour trouver la joie, d'être épargnés par la violence, la peur ou la désillusion, nous risquerions d'attendre longtemps. C'est précisément par gros temps que la question du savoir-vivre se pose: nous voilà convoqués, invités à défendre ce à quoi nous tenons. C'est maintenant ou jamais: si nous aimons la vie, voici venu le temps de le montrer. Ce n'est pas aimer la vie que de l'aimer simplement par temps calme. C'est dans la souffrance, l'échec ou le deuil qu'un individu sait s'il est capable, selon le mot de Nietzsche, du "grand oui à la vie". S'il est capable de cette joie qui, en effet, n'est pas le bonheur, de cette joie qui demeure possible même quand le bonheur ne l'est plus. Si le bonheur est une sérénité durable, il n'est plus possible dans un pays où l'on sait désormais qu'un attentat peut endeuiller, à n'importe quel instant, n'importe quelle terrasse ou salle de concerts. Mais cet impossible rend la joie de vivre encore plus salutaire. Au fond, le véritable sens de la joie est de se déployer contre, tout contre l'impossibilité du bonheur. Elle n'a jamais autant de sens que lorsque la vie est dure, tragique même, décevante ou angoissante. Car alors elle n'est pas la joie de vivre dans un monde parfait, pas la joie de vivre comme ceci ou cela, en remplissant tel ou tel critère, en se conformant à tel ou tel modèle - elle est la joie de vivre tout court. La joie de vivre malgré tout. Envers et contre tout. Une joie dont chaque instant est arraché à la violence du monde, comme un pied-de-nez à la bêtise, un bras d'honneur à la barbarie, la meilleure manière de ne pas ressembler à ceux qui veulent notre mort. Une joie intranquille, surtout pas aveugle, lucide sur sa propre précarité: une joie qui se sait menacée et n'en est que plus puissante. Comment en serait-il autrement pour les animaux humains que nous sommes, tellement conscients, ultra-informés, tenus au courant seconde après seconde des variations les plus infimes de la misère du monde ? Etre menacés, c'est l'essence même de notre joie, ainsi que le résume Clément Rosset dans "la force majeure": "Il n'est de joie véritable que si elle est en même temps contrariée, en contradiction avec elle-même, la joie est paradoxale ou n'est pas la joie." Rien de plus vain que de vouloir refouler ou chasser nos mauvaises pensées pour trouver la joie: c'est l'assurance de sen priver. Sachons au contraire accueillir ce qui nous blesse ou nous effraie, la vraie joie réclame une telle lucidité; mieux, elle l'invite à danser.

D'un côté, la joie est une réponse au fracas du monde. De l'autre, elle a le pouvoir fou de le mettre en sourdine, de l'éteindre un temps. Dans l'instant de son jaillissement, la joie en effet efface tout. Elle est alors comme cruelle, insensible: soudain, plus rien n'existe qu'elle. Elle est par-delà le Bien et le Mal - amorale. Lorsqu'elle éclate en nous, à la seconde précise de cette irruption, toutes les souffrances et les injustices sont balayées. Nous aurions tort d'en éprouver de la culpabilité. C'est la preuve même de la puissance de cette ressource: la joie ne demande pas la permission; elle n'a pas besoin d'autorisation.

Nous avons cette envie de vivre, de défendre la beauté. Mais comment faire ? Et surtout que faire de notre peur ? Deux questions qui se posent à chacun d'entre nous et nous laissent désemparés. C'est dur d'y penser. Mais c'est précisément parce qu'il y a des choses difficiles, et difficiles à penser, qu'il y a de la pensée. La pensée n'a de sens que contre ce qui lui résiste. Contre ce qui la menace. C'est ce qui en fait la soeur de la joie."

Bonne journée et prenez bien soin de vous, surtout !

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